Pour Karl Popper, il existe deux types de systèmes physiques : les « nuages », qui sont imprédictibles (ce sont par exemple, les gaz, au sein desquels on ne peut prédire le mouvement des molécules), et les « horloges », qui sont parfaitement régulières et prédictibles (par exemple, le système solaire).
L’épistémologue imagine une frise aux bouts de laquelle on placerait, à gauche les nuages, à droite les horloges. Voici quelques uns des systèmes que l’on pourrait y placer :
Le cycle des saisons est une horloge pas très fiable ; on peut donc le situer quelque part sur la droite, mais pas trop loin. Nous serons facilement d’accord, je suppose, pour disposer les animaux pas trop loin des nuages, sur la gauche, et les plantes un peu plus près des horloges. Entre les animaux, il nous faudra distinguer et placer un jeune chiot plus à gauche qu’un vieux chien. […] Et, peut-être à l’extrême droite, faudrait-il placer le système solaire.[1]
La physique newtonienne a inséminé l’idée que tous les systèmes physiques sont des horloges, et que les nuages ne sont en fait que des horloges mal connues. Selon cette conception, un physicien disposant de toutes les informations nécessaires aurait pu prédire au soupir près la composition de chaque œuvre de Mozart.
Cette idée, dit Popper, en plus d’être effrayante, est absurde – et ce bien qu’elle ait séduit nombre de philosophes et séduise toujours la majorité des physiciens.
Pour Popper, le monde n’est ainsi pas une « horloge parfaite », et il attribue à Charles Sanders Peirce le mérite d’avoir rejeté le premier cette idée, en 1892.
L’épistémologue s’inscrit donc dans la lignée de pensée indéterministe, qui veut que « toutes les horloges sont des nuages ; ou en d’autres termes, que seuls les nuages existent[2] ». Une tradition de pensée qui fut longtemps ignorée, précise-t-il, du moins jusqu’à ce que les découvertes en physique quantique n’obligent les physiciens à réviser leurs conceptions sur la causalité.
Pour illustrer sa conception des « nuages », Popper prend l’exemple d’un essaim de moucherons. Sans qu’il n’y ait ni leader ni structure, il forme un « tout » résultant de la conjonction de deux facteurs :
[…] chaque moucheron fait exactement ce qui lui plaît, sans loi, au hasard, et aucun d’eux n’aime s’écarter trop loin de ses camarades.[3]
Ce qui caractérise l’essaim, c’est donc un système de « contrôle plastique » (nébuleux), par opposition à un « contrôle rigide » (mécanique).
Cette notion de « contrôle plastique », « qui laisse une certaine liberté à ce qu’il contrôle, tout en maintenant une norme constante[4] » est ce qui va permettre au penseur de résoudre le problème de Compton et de proposer sa nouvelle définition de l’organisme…
[1] POPPER Karl R., La Connaissance objective, op.cit., pp. 321-322.
[2] Op. cit., p. 328.
[3] Op. cit., p. 323.
[4] BOUVERESSE Renée, Karl Popper ou le rationalisme critique, Paris, Vrin, 1998, p. 133.