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L’irréfutabilité du darwinisme selon Karl Popper

Pour Karl Popper, le principal problème de la théorie darwinienne est son caractère tautologique, irréfutable. Elle veut expliquer des phénomènes tels que l’adaptation ou la biodiversité, mais elle ne peut jamais le faire qu’a posteriori, une fois qu’ils existent déjà. Elle ne formule aucune prédiction concrète, si ce n’est celle de « l’occurrence de petits changements, chacun dû à une mutation.[1] ».

En d’autres termes, on peut donc la qualifier d’infalsifiable – elle ne peut pas être testée – une caractéristique commune à toutes les pseudo-sciences.

Dans La Quête inachevée, Karl Popper illustre cette difficulté, cette impression que, quoi qu’il arrive, c’est toujours la même interprétation qui prévaut :

Supposons que, sur Mars, on trouve une vie consistant en exactement trois espèces de bactéries à l’équipement génétique semblable à celui de trois espèces terrestres. Le darwinisme est-il alors réfuté ? En aucun cas. On dira que ces trois espèces étaient les seules formes suffisamment bien adaptées pour survivre, parmi le grand nombre de mutants. On dira la même chose s’il n’y a qu’une espèce (ou s’il n’y en a aucune). Donc le darwinisme ne prédit pas véritablement l’évolution de la variété des espèces. C’est pourquoi il ne peut véritablement l’expliquer.[2]

On ne peut certes tester la théorie de Darwin[3], mais ceci justifie-t-il qu’on la rejette dans la catégorie des théories pseudoscientifiques ?

Cela n’empêche pas le philosophe de remarquer que (bien qu’infalsifiable), le darwinisme est à l’origine de découvertes majeures dans l’histoire de la biologie. Et qu’elle constitue également une théorie largement préférable à celle des Créationnistes !

En conséquence, il ne faut pas lui dénier toute scientificité. Son grand pouvoir de description légitime qu’on la classe dans la catégorie des « programmes de recherches métaphysiques », ces théories qui, sans répondre au critère de démarcation poppérien, ont permis à la science de réaliser des avancées décisives en servant de cadre à la recherche et à l’élaboration de théories légitimement scientifiques car testables.


[1] « La progressivité est donc la prédiction centrale de la théorie. (Elle semble même être sa seule prédiction.) […] la théorie prédit l’occurrence de petits changements, chacun dû à une mutation. », POPPER Karl R., La Quête inachevée, op. cit., p. 243.

[2] Op. cit., p.241.

[3] Certains biologistes ont néanmoins tenté de tester les différentes théories transformistes (lamarckienne et darwiniennes), et ce bien que les faits qu’elles décrivent s’étendent sur une échelle temporelle considérablement supérieure à celle de l’expérience humaine. Weismann, par exemple, mutila des générations d’animaux dans le but de déterminer le rôle des « caractères acquis » (Cf. WEISMANN August, « Über die Hypothese einer Verebung von Verletzungen » « La prétendue transmission héréditaire des mutilations », conférence donnée en septembre 1868, Iéna, G. Fischer, 1889. Cité dans l’article de LENAY Charles, « Weismann August Friedrich Leopold, 1834-1914 », in Dictionnaire du Darwinisme et de l’évolution, op. cit., p. 4616). Bernard Kettlewell, par le test du « mélanisme industriel » des phalènes du boulot, voulu apporter la preuve expérimentale de l’existence de la sélection naturelle. Ces deux types de tests n’apportèrent cependant pas les résultats escomptés. Pour respecter les postulats de l’hypothèse lamarckienne, Weismann aurait de toutes façons dû effectuer ses mutilations sur des milliers, voire des millions de générations. Et Jean Gayon rapportait dans un article récent (GAYON Jean, « Le Papillon de Darwin », in Sciences et Avenir Hors-Série n° 142, Paris, Avril-Mai 2005, pp. 34-39) que, si le test du « mélanisme industriel » avait longtemps tenu pour preuve de l’existence de la sélection naturelle, l’expérience était en passe de devenir un « mythe scientifique ».